Réflexions d’un cuisinier engagé

Publié le , par Salomé Khodara
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Maxime Moïse

Qui n’a jamais eu l’envie de percer les secrets des grands chefs et de se retrouver derrière les fourneaux, ne serait-ce qu’un instant ? De faire sourire par sa cuisine les personnes qui nous sont chères ? De cuisiner la madeleine de Proust qui saurait réveiller la gourmandise des autres ? Ou bien même, de se prendre pour un futur « Top chef » en réalisant et postant d’alléchantes photos sur les réseaux sociaux… ?! 

C’est un peu mon quotidien depuis petit ! Je rêvais de devenir chef cuisinier, de régaler les papilles de mes amis et ma famille, et me voilà à la quête continue de l’apprentissage de ce fabuleux métier.

J’ai aujourd’hui la chance et l’honneur d’officier, comme on le dit dans le jargon, à l’Institut Paul Bocuse. Après avoir appris auprès de « grands », j’ai décidé à mon tour de transmettre aux futurs chef(fe)s de demain, en souhaitant les accompagner dans une transition bienveillante de nos métiers. Quand cela est possible, je pars aux quatre coins du globe, officier auprès d’une multiculturalité de jeunes qui m’apporte autant que je leur donne.

Bon assez parlé de moi et de mon parcours ; parlons de cuisine épicurienne, ou plutôt wepicurienne ! Derrière une assiette finalisée (ou un plat en livraison), c’est tout un monde caché qui grâce aux médias et aux nouvelles générations se voit désacralisé. 

Un chef(fe) de cuisine n’est pas souvent sous la lumière des projecteurs, et plus généralement, on pourrait même dire qu’il est plutôt pudique. On parle d’ailleurs du cuisinier comme un acteur de l’ombre, le magicien des fourneaux, qui développe « l’art de transformer instantanément en joie des produits chargés d’histoire » (Guy Savoy, chef triplement étoilé). Même si la discrétion peut être un atout indéniable, le chef(fe) de demain doit pouvoir s’exprimer devant ses clients, et pas uniquement par sa cuisine. Le chef(fe) doit pouvoir être transparent, doit répondre à ses clients, échanger avec eux, montrer (et prouver) qu’il est engagé écologiquement et socialement. Les consommateurs recherchent de plus en plus à créer du lien, à comprendre la cuisine, à savoir et à ne plus seulement manger passivement. C’est un passage très important du consommateur à consom’acteur. Chacun aujourd’hui peu agir, choisir de bien manger (et boire modérément). Comme j’aime le rappeler à mes étudiants, « je mange donc je suis » ! Ne négligez jamais le produit, car c’est là la clef du début d’un succès garanti.

Bon d’accord, il faut aussi être bon gestionnaire, bon manager et par-dessus tout un créateur de bonheur. Chacun des grands chefs, des cuisiniers à une démarche de créativité répondant à sa logique personnelle. Chacun par sa liberté d’expression et d’inspiration imagine ce qui pourrait ravir la critique de manière dithyrambique : il faut savoir être à la page, se remettre toujours en question et se mettre à la place du client. De mon côté, par exemple, ma phase de création commence toujours par un brainstorming, qui me permet de poser mes idées sur papier, de dessiner, de rechercher des accords, de mettre des mots sur des émotions/sensations recherchées. Globetrotteur invétéré, les cultures que je connais m‘inspirent et animent ma patte culinaire. Évidement cela doit toujours se faire dans le respect des saisons, des produits. Ensuite, il y a une phase de tests, qui permet de se rôder et de faire évoluer son plat jusqu’à ce qu’il exprime la palette recherchée. Que je sois honnête avec vous, le perfectionniste que je suis n’est jamais vraiment satisfait du résultat, et un bon nombre de cuisiniers sont comme moi. Avant d’avoir « son identité culinaire », c’est une expérience de longue haleine ! 

Je parlais de bienveillance un peu plus haut, indéniablement, la cuisine de demain se doit de l’être dans sa globalité. Il faut au-delà de penser éthique, l’être dans sa cuisine au quotidien. Les chef(fe)s de demain doivent construire le futur de la gastronomie: raisonnée, juste, saine, engagée. Et vous savez quoi ? Je veux en être, et je suis sûr que vous aussi. À vous de prêter attention à ce que vous mangez, et là où vous mangez ! 

Wepicurieusement vôtre, 

Maxime Moïse, Chef International à l’Institut Paul Bocuse