
Montbelliarde, Normande, Brune, Tarine…
Qu’elles soient noires, blanches, marrons, tachetées, unies. Mais qu’ont-elles en commun ?
Indépendamment de leur statut génétique, elles partagent une identité, une représentation liée à un terroir où se cachent en filigrane des femmes et des hommes, qui se transmettent une même passion. Des gestes, qui se dispensent de générations en générations et dont la production de masse essaie vainement de nous faire oublier. Des savoirs faire, qui sont comme une évidence et s’allient de pair avec une géologie, un climat, une typicité, une singularité. Des anecdotes qui resteront dans les annales comme une lésion indélébile.
De la sédentarité des peuples s’en est suivie la domestication des animaux. La culture et l’agriculture avec ce besoin et cette nécessité de produire et de conserver.
La nourriture a laissé place aux repas, le repas a laissé place à la commensalité. Il s’est forgé dans chaque fromage qui se respecte l’identité de son environnement, avec des marqueurs ancestraux qui en font un produit riche de sens et d’histoire.
Riche en histoire avec notamment la fameuse consécration du fromage de Brie où le congrès de Vienne appuyé par la volonté et la détermination du Duc de Talleyrand lui décerna le rang de « roi des fromages » . En effet, au cours d’un dîner, une controverse eut lieu avec le prince de Metternich, ministre de l’empereur d’Autriche autour d’une question qui serait encore existentielle, mais quel est le meilleur fromage d’Europe? Le ministre de l’Empire, épicurien notoire dont les frasques au château de Valençay étaient fort réputées en tenait pour le Brie. Lord Castlereagh, qui représentait l’Angleterre, prônait le Stilton et le baron de Falk, des Pays Bas, le Limbourg. Cinquante des fromages de toute l’Europe furent réunis, arrivés par courrier diplomatique, et ce jury fort diplomatique désigna à l’unanimité la suprématie du Brie qui fut désigné ainsi.
Le Brie venait de Villeroy, près de Meaux, où il était produit dans la ferme d’Estourville par le sieur Baulny. »
Riche de sens où l’épicurisme n’a de valeur que par le plaisir de partager et l’on retrouve ce fameux fromage « de seigle » ou de « gléo » que tout le monde connait, initialement réservé à la consommation domestique des producteurs. C’était sans compter l’obstination du gouverneur de Saintonge, Jean Charles de Sennecterre, Maréchal de France qui donna au produit éponyme, ou presque…, ses lettres de noblesse en le faisant découvrir à Louis XIV qui l’imposa ensuite à sa table.
Chaque fromage renferme une empreinte, un acide désoxyribonucléique inébranlable où chacun se reconnait selon sa sensibilité et donne à ce produit vivant, tellement identitaire de notre patrimoine, un lien de parenté où chacun d’entre nous se retrouve.
Quand le commensal laisse place à l’émotion, l’épicurien n’est pas loin…
Bernard Ricolleau, Maître d’Hôtel à l’Institut Paul Bocuse